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En mentounasc, puis en français...
OU STRAPOUNCHÌE
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Coura sema enfante, i san de moumente, de fotografìe, de avenimente, de persounaje, qué se metan en memòria, se piatan, se fan scourdà, e puhi un jorn acapita un’oucasian qué fa revenì, dervelhà, renaishe stou souvenì. Avema parlà ùrtimament en reunian da sahm, du mestìe d’un temp, encuhi scaijhi despareishù, e sùbitou m’a fach pensà ente Cechino, ou strapounchìe da mìa carriera. Nan perqué fasìa stou mestìe, eran numerouse d’un temp, ma propi qué n’avìa pèr travalhà qu’un brass souret, sabìa dejà qu’avìa perdu r’autre brass ’na Prima Guerra en Itàlia cuentra ru Austriaque. M’enteressava de charlà dam’elou, de vé-rou fa, me stoumacava stou brass ùnicou, galhard, garibà, ràpidou, qué fasìa tout couma se foussan dou. Vuhià una strapouncha da soua lana, va ben, cardà ra lana dam’ou va e ven dou barancìe, va ben encara, una vota ra lana prounta, iempì rou sac de tera, encara va ben, ma puhi, cujhì a tera e fa tout’u pounche, fa anà e venì r’agulha tout’a r’engirou da strapouncha, e fenì rou travalh pèr presentà un’obra perfeta, realisàia dame cinq de, acò ese propi una perfourmença !
August MACCARI, Genarou 2019
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LE MATELASSIER
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C’était l’époque de mon enfance, il habitait au dessous de chez nous, dans cette rue du Vieux Menton où seuls les piétons passaient, où régnait la convivialité, l’amitié aussi, souvent, et même l’affection partagée par ce petit peuple de ce village qu’était notre Vieille Ville de ce temps. Il se nommait Cechino, il était matelassier de son état, son atelier c’était l’espace, quelques mètres carrés de rue, devant sa demeure. Il étalait sur le sol une forte toile de coton usagée, rayée de gris, sur laquelle il déposait la laine à carder, issue d’un matelas, las de servir, qu’il fallait rénover. Puis la machine à carder (une cardeuse ancienne, en bois, à balancier) tirée au dehors, prenait place et attendait de servir, il s’installait alors assis à l’arrière, face à son engin, et le travail s’initiait.
J’aimais le regarder faire, assis sur les marches de notre entrée, je lui tenais une conversation gamine et curieuse en dialecte, sur son métier bien sûr, mais aussi sur des sujets divers, il me répondait en italien, même en parler de sa province du nord de la Botte, mais on se comprenait très bien. Il avait déjà un certain âge mais il était vigoureux, c’est sûr, dans sa jeunesse ce devait être un sacré gaillard ! Il n’avait plus qu’un bras, je ne me souviens plus si c’était le gauche ou bien le droit, mais le membre perdu était porté disparu sur la terre d’un champ de bataille de la Première Guerre Mondiale, quelque part sur un front d’Italie où il avait servi sa Patrie, était-ce à Caporetto ? ou ailleurs, mais son bras n’était pas revenu du combat. J’étais admiratif de la dextérité de ce bras orphelin, il chargeait la cardeuse, à la juste quantité, de la laine saisie sur la toile par terre, actionnait le va et vient rapide du balancier dentelé de l’engin, on entendait ce murmure feutré de la laine dont on défait les nœuds pour la rendre moussante, ce bras unique avait dû récupérer les qualités de son frère perdu, resté seul, mais devenu performant pour deux, il enchaînait les mouvements d’une singulière manière. De la laine cardée au matelas restauré et livré, Cechino de son unique membre savait tout faire. Une vie est passée, mon enfance est lointaine, mais je garde de cet homme un souvenir ému, un exemple de ténacité et de courage devant l’adversité, savoir réaliser un ouvrage avec un seul bras qui oeuvrait pour deux, n’est-ce pas exceptionnel ?
Auguste MACCARI, janvier 2019
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Année 2019 - « Ou Païs Mentounasc »
N°169 - Printemps 2019 - Métiers d’hier et (...)
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